Ce livre présente différentes formes d’écriture. Paroles de chansons, slams satiriques, formes burlesques et textes à conter à haute ou basse voix.
Le chapitre final, intitulé Les Lemesliennes, est une sélection de textes nés des thématiques proposées par Claude Lemesle dans le cadre de ses ateliers.
La couverture et les illustrations des chapitres sont de la main de Rohanne, peintre muraliste.
Ma légitimité pour rédiger cette préface ? Juste un des jouissifs hasards de la vie : dans un chaleureux bar à tapas au pied de la butte Montmartre, on célébrait la sortie d’un beau-livre de photographies et poèmes pour lequel on m’avait invité à composer un rôle inédit d’ « avant-proposiste ».
Dans la cohue près du zinc, je me retrouvai à trinquer avec Michel Dreano … et voilà que, quelques verres de contact de vin basque plus tard, avec un déhanchement et une scansion « nougaresques », il me déclama une de ses dernières créations en hommage à un grand pianiste de jazz :
« Qui ?
Aux équinoxes et aux éclipses, flocons de neige,
Va fair’ tanguer sur son clavier, tout un manège ?
C’est Thelonious, c’est Thelonious
Le moine fou
Au chapeau mou
Qui rôde autour de minuit … »
La blue note ! On ne parlait pas à l’époque de distanciation sociale ou de masque, le souffleur de vers venait de m’inoculer son virus.
Il était l’auteur d’une chanson Vieil encrier d’encre violette, j’étais le rédacteur d’un blog intitulé À l’encre violette. Nés peu après la Seconde Guerre mondiale, nous appartenons à ces générations de « grands frères », décriées par certains, ballotées entre les valses musette de nos aïeux, l’exceptionnelle éclosion des « chanteurs à texte » Brassens, Ferré, Brel, Nougaro, et le débarquement du swing du jazz américain. Les présentations ainsi faites, j’eus, dès lors, envie de le suivre sur ses chemins de traverse poétique, au gré de ses errances et espérances, colères et révoltes, avanies et utopies.
Pratiquant l’autodérision, le temps de quelques vers (ou verres ?), il s’affuble modestement du pseudo de Michaël Dream, à la mode des chanteurs yéyés de sa jeunesse. Prémonitoire : c’était son rêve, dès l’enfance, de devenir écrivain et, plus généralement, de faire du spectacle. Il déjoua bien des pièges pour le concrétiser.
Michel, le gamin de Paris fils de Bretons de l’intérieur, bourlingua d’abord dans le grand terrain d’aventure que constituaient alors les vestiges de l’ancienne « enceinte de Thiers », les fortifs et les buttes, une « campagne », aux noms bucoliques de Lilas ou Pré Saint-Gervais, immortalisée sur les clichés en noir et blanc d’Eugène Atget, Robert Doisneau et Willy Ronis : « Peut-être n’est-on jamais que d’un seul pays, celui de son enfance… Mon pays c’est « la zone ». Un entre-deux géographique entre Paris et sa banlieue, un espace libre, aujourd’hui avalé par le périph’… »
Le temps des culottes courtes révolu : « Comme un Sublime presque insolent/D’estaminets en caboulots/De temps en temps, bon an mal an/Je vivrai de petits boulots ». Deux licences littéraires dans sa besace, Michel cabotina comme G.O. d’hôtels-vacances et d’un village « Tourisme et Travail » (une sorte de Club Med populaire), se frotta au journalisme indépendant, réalisa plusieurs documentaires pour la télévision et des radios, puis, au tournant du XXIème siècle, enseigna dans un lycée agricole de Seine-et-Marne, fit un break sabbatique pour décrocher une maîtrise en sociologie et anthropologie des migrations, avant de mener, désormais, sans souci d’âge pivot de retraite, une carrière de slameur sur les scènes de l’Est parisien. Infatigable baby-boomer dont les petites entreprises culturelles ne connaissent pas la crise !
Contrairement à ce que le caractère décousu et chaotique de sa trajectoire pourrait laisser craindre, elle traduit logique, cohérence, persévérance : un esprit libre, curieux, fraternel, altruiste qu’il n’a cessé inlassablement de nourrir à travers ses tribulations aux sens géographique, culturel et social du terme. Comme le poète, il n’écrit pas (et ne chante pas) pour passer le temps. Son florilège de textes rassemblés ici s’offre à lire comme un retour aux sources, celle de son existence et celle de son imaginaire.
Citoyen engagé, observateur du monde, Michel abhorre l’abstention et persévère à déposer son bulletin dans l’urne de la poésie : « Et que des cendres des manuels de littérature, renaisse le phénix des nouveaux troubadours ». Ça bourgeonne, ça foisonne !
C’est un artiste qui parle une langue de couleurs pour exprimer les beautés et les tourments de l’âme. Sa vie poétique est un roman.
Barde, tel un Jack Kerouac, il arpente la lande du Cotentin à la rencontre d’amis d’esprit, le joueur de mots Jacques Prévert et le décorateur Alexandre Trauner, génie du trompe-l’œil et créateur d’atmosphères dans les films de Marcel Carné.
On the road again …On le retrouve griot blanc qui, sans tricher avec les mots, pratique la langue du bois de biloba, l’arbre aux quarante écus qui survécut à Hiroshima. Arbre à palabres ou à polémiques ?
Cow-boy de série B sorti d’un western cassoulet, il nous emporte From L.A to Bagnolet, en grattant à la guitare quelques refrains de Crosby, Stills, Nash and Young.
Adoptant la panoplie du globe-trotteur, baroudeur, trimardeur, routard, pierre qui roule, ses chroniques nous baladent dans les villes, de Rome à la rue de la Grange-aux-Belles, de Saint-Denis à Belleville via Hollywood, « de laveries automatiques en épiceries arabes, de gares désaffectées en jardins ouvriers » avec toujours le fol espoir que « le plomb du quotidien se mue, de temps en temps, en or de fraternité ».
Michel aime les gens, les petites comme de plus notoires, les exilés comme ses proches.
Il rend hommage à son papa qui Vatel un Loiseau Bocuse et Les Troisgros décrocher (son) étoile là-haut ».
Au paradis des artistes, il croise Nougaro (qui) s’emmerde au ciel et l’homme à la tête e chou Gainsbourg qui, de profundis, fait la fête avec Boris Vian au bar du Styx.
Il nous fait entrer dans l’atelier d’Eugène Leroy, un peintre du plat pays : « Ses terres de Sienne, brûlées du bleu stellaire, ses coulis d’alluvions de lœss mauve, ses araignées végétales, échouées sur la peau des terrils ».
On passe un moment avec La petite dame d’Argenteuil, adorable octogénaire qui écoute pousser la ville autour de son pavillon.
Pierre Perret nous chantait les tribulations de Marcel jouant, au Cap Gris-Nez, du cor(ps) au fond des bois avec les vahinés, Michel la tendresse nous rime celles de Momo de Gennevilliers qui noyait dans l’absinthe ses rêves de châteaux en Espagne (ou plutôt de pyramides mayas), près de l’écluse de la Briche.
Comme Claudius de Cap Blanc, génial artiste « affabuleux » ariégeois, façonnait dans le bois de vrai-faux objets comme le redresseur de torts, le pèse mots ou l’extracteur de quintessence, Michel, « étameur de rimes », s’invente des fidélités de racomptoir avec un soudeur à l’amitié, un pêcheur de compliment, un cracheur de feu follet.
Changement d’herbage réjouit les veaux ? À la manière de Brassens et sa ronde de jurons, il nous moissonne une botte de proverbes paysans pour pousser son coup de Glyphosate blues.
Ses textes pullulent de références de personnes, de lieux, d’œuvres, mais, à la différence du name dropping de Delerm fils, ce n’est ni gratuit, ni prétentieux. La figure de style a volonté d’ancrer ses récits dans l’histoire, la géographie, les arts, le rêve et l’humour. Les plus accros d’entre vous constitueront un glossaire.
Il faudrait peut-être imaginer un nouveau « grand métingue du métropolitain » pour régler un problème de susceptibilité entre Martin Nadaud maçon limousin et Léon Gambetta père fondateur de la IIIe République ! Et vous vous retrouvez au lycée Voltaire, en 68, pour faire trembler la Ve sur des tubes de Lez Zeppelin : On bouffait du facho, on se foutait du bachot.
Vous découvrez comment l’auteur, même s’il adore la pulse de la bossanova avoue qu’il n’ira pas au Brésil si c’est pour croiser les « gamins des gueux dont on vole les yeux ». Tout en finissant quand même par attirer la fille d’Ipanema dans sa chambre.
Surréaliste, quand il se dore à la Goutte d’Or, il parvient à nous parler de Poulidor, Suzy Solidor, Albator et Dark Vador, château de Chambord et théâtre Mogador, quoi sais-je encore ! Le bougre, il est fort et j’adore.
Le cinéphile et le cinéaste sommeillent en lui et certains de ses textes sont construits comme de petites nouvelles cinématographiques. Elles possèdent même en elles une bande son originale qui dévoile ses multiples influences musicales, Charlie Mingus, Bill Evans, Miles Davis.
L’harceleur d’Ascenseur pour l’humilité serait-il éconduit s’il avait la belle gueule de Maurice Ronet dans le huis-clos de Louis Malle ?
Quand sa fiction rejoint la réalité de la fiction de Jean-Pierre Melville : sans même avoir jamais vu la séquence d’ouverture du Doulos, il déambule Rue Watt, affublé de l’imper et du chapeau de Serge Reggiani, en faisant un clin d’œil à l’univers de Dashiell Hammett, maître du roman noir, et ce pour les besoins d’un clip sur son Blue polar. Car, il est temps tout de même de vous avouer que Michel Dréano met en musique ses poèmes ici nus. : « la poésie, c’est rythmé et mélodieux, avec ou sans refrain. Verlaine est le poète le plus musical ».
Comme le Bourgeois gentilhomme de Molière faisait de la prose sans le savoir, Michel ignorait qu’il slamait, et diablement bien, au point de rafler en individuel le Grand Slam de Paname 2010, aux Trois Baudets, cabaret mythique où, sous la houlette de Jacques Canetti, d’illustres artistes démarrèrent leur prodigieuse carrière tels Brassens, Brel, Gainsbourg, Béart, Bobby Lapointe, Raymond Devos, Pierre Perret, Boris Vian …Comme on se retrouve.
Les djeun’s diront qu’il a le groove ou le flow, le boomer que je suis déguste ses textes en se les lisant à haute voix, suivant en cela l’éminent linguiste Claude Hagège : « Le style oral est un véritable genre littéraire ».
Savourez-en la musique interne, la musicalité des mots, et qui sait, vous surprendrez vite vos doigts ou vos orteils à marquer la scansion. Musique des corps, musique décor, sa poésie, mâtinée de drôlerie, est une clameur, souvent un cri, un manifeste.
Michel Dréano est un artiste protéiforme. Poète, conteur, reporter, il nous invite et nous incite à réfléchir. Baladin nullement anodin, défenseur des Hommes sensibles des quartiers, son viatique est son combat pour le droit de vivre dans la dignité et le respect des différences culturelles.
Lâchons ses hirondelles ! Elles feront le printemps et l’automne lors des Joutes poétiques de Granville, à quelques battements d’ailes de Jacques Prévert.
« Elles survolent les banlieues
Les forêts et les prés
Là où fleurit l’œillet
Qu’on nomme de poète
Et voilà qu’il est tout chose
Ce rimeur quand l’oiseau
Chante sous sa fenêtre, chante sous sa fenêtre
Comediante, tragediante !
Oyez ! »
Achevé d’écrire par Jean-Michel Coffin, le 30 mai 2020, dans un contexte d’épidémie